CHAPITRE 6 - LA REVOLUTION INDUSTRIELLE ET LE WHISKY

 

Le début du XIXème siècle a marqué la naissance en Grande Bretagne de ce qu’il est convenu d’appeler la Révolution Industrielle. Ce formidable essor économique fut également accompagné d’un accroissement très important de la démographie.

 

Les besoins en alcool s’accrurent d’une manière prodigieuse, non seulement à cause d’une population plus nombreuse, mais aussi en raison des nouvelles conditions de travail et de vie dues à l’industrialisation. Le fléau de l’« Assommoir » sévit plus tôt en Angleterre qu’en France. Des millions de personnes ayant perdu leurs racines cherchaient dans l’alcool à oublier leur condition misérable...

 

En 1825, pas moins de 326 distilleries légales produisaient du whisky en Ecosse. Dans bien des cas, elles étaient dirigées par d’anciens distillateurs clandestins. Ainsi George GOW, qui changea son patronyme par trop écossais en SMITH pour faire plus anglais, fut l’un des premiers à solliciter une licence en 1824. Ce personnage haut en couleur, fort en gueule, avait beaucoup à se faire pardonner. Fermier du duc de Gordon, celui des ordonnances de 1820, il était issu d’une famille loyaliste qui avait soutenu le prince Charles (Bonnie Prince Charlie). Il possédait l’un des quelques 200 alambics cachés dans les montagnes environnant la vallée de la Livet. Rusé et calculateur, il changea de nom et s’acheta une conduite en même temps que sa patente !...

 

La Révolution Industrielle eut pour moteurs d’une part le machinisme et les formidables inventions de cette époque, et d’autre part la concentration des moyens techniques et des capitaux. L’industrie du whisky n’échappa point à cette règle. Les distillateurs les plus riches, les plus doués ou les plus prévoyants étoffèrent leurs installations afin de répondre à une demande en constante augmentation. Ceci se fit souvent au détriment de leurs collègues les moins performants ou les moins aisés. La technique de distillation traditionnelle en alambic classique (pot-still) ne permettait pas de fabriquer rapidement les énormes quantités d’alcool que le marché réclamait. Le whisky de malt restait cher malgré un aménagement de la taxation sur l’orge maltée.

 

Dès le milieu du siècle précédent, on avait commencé à distiller dans les Lowlands un produit moins onéreux que le malt pur. On avait mélangé d’autres céréales, de l’orge, du blé, du seigle, à une petite quantité de malt pour en faire une bouillie riche en amidon hydrolysable susceptible de se transformer en maltose. Ceci permettait déjà de réduire les coûts de production, mais le développement de cette industrie était entravé par la lenteur du procédé classique d’élaboration du whisky.

 

Ce problème fut résolu par un Irlandais appelé Aeneas COFFEY. En 1831, COFFEY inventa un nouvel alambic qu’il fit breveter. Ce nouveau système fut appelé « Continuous Patent Still » (alambic breveté pour la production en continu) et plus simplement, par abréviation « Patent Still ». Cette installation évitait d’avoir à nettoyer et à recharger l’alambic après chaque passe de distillation. Ce procédé mettait donc en place un alambic, dit aussi « à colonnes », chauffé à la vapeur. La bière à distiller, ou « wash » était introduite dans cette tour où le produit était porté à ébullition. Les vapeurs étaient ensuite triées dans une seconde colonne, dite de rectification, sur des plateaux étagés à l’intérieur de cette tour, la pureté de ces vapeurs étant fonction de la position plus ou moins élevée du plateau. Les vapeurs ainsi sélectionnées étaient ensuite envoyées dans un condenseur où elles se liquéfiaient. Un second tri intervenait ensuite, comme lors de la deuxième distillation en pot-still, au moyen du « spirit ans feints safe ». Les produits impurs étaient recyclés pour être redistillés et la vapeur non utilisée servait au réchauffage de la première colonne. Ce procédé très économique permettait de produire d’énormes quantités d’alcool.

 

 

 

La première distillerie à utiliser le « Patent Still » fut celle de John PHILIP & Co à Alloa (Clackmannanshire) en 1834.  Quinze ans plus tard, pas moins de treize alambics de ce type étaient en service dans les Lowlands.