CHAPITRE 7 - NAISSANCE ET TRIOMPHE DU BLEND

 

L’alcool de grain ainsi produit peut donner lieu à différents spiritueux : une partie, la plus pure, est appelée alcool neutre, car il a très peu de goût. Il peut être aromatisé, avec des baies de genièvre, par exemple, pour donner le gin, ou bien avec d’autres plantes et du sucre, et servir de base pour des liqueurs. L’autre partie, moins pure car renfermant encore des huiles aromatiques est vieillie en fûts de chêne, C’est ce qu’on appelle véritablement le whisky de grain.

 

En quelques années, ces spiritueux connurent un prodigieux développement. De nouvelles distilleries furent crées, dans les Lowlands productrices de céréales principalement.

 

Qui eut l’idée de mélanger du whisky de malt avec du whisky de grain ?... La chose est loin d’être éclaircie. Est-ce un aubergiste anglais, comme le veut une certaine tradition, ou bien un marchand écossais comme tendrait à le faire croire une autre histoire ? Le fait est que ce mélange d’alcools, ou blend, fut promis à la plus fulgurante des carrières.

 

Dès 1850, apparurent sur le marché quantités de « blended scotch whiskies » dont les secrets de fabrication étaient jalousement gardés. Les premiers mélanges de qualité sont attribués à Andrew USHER, un négociant d’Edimbourg. Il commença par vendre un assemblage de whiskies de pur malt, on dirait aujourd’hui blended malt, sous l’appellation d’Old Vatted Glenlivet. A l’époque, on appelait blended scotch tout mélange de whisky, aussi fut-il considéré par certains comme le premier blended scotch whisky. C’est cependant son fils, Andrew USHER II, qui aurait commercialisé en 1853 le premier véritable blend, tel que nous le connaissons aujourd’hui.

 

Vers 1860, une autre innovation vint également révolutionner les ventes de scotch. Jusque-là, le whisky était débité au tonneau, notamment dans les pubs et les auberges. Ces tonnelets avaient souvent une contenance de 40 à 50 litres. Pour les particuliers, le scotch était surtout vendu en pigs, (cruchons et non cochons) d’une vingtaine de litres en terre cuite ou en céramique. La diffusion du whisky diffusé en bouteilles allait permettre l’essor du blend sur le marché national, puis outre-mer.

 

Deux inventeurs revendiquent la « paternité » de la bouteille de scotch : John DEWAR (vers la fin des années 1860) et... Charles McKINLAY !

 

Plus légers et moins onéreux que le pur malt, les blend devinrent bientôt une boisson à la mode. Ce succès fut largement amplifié par l’existence de l’Empire Britannique. Sur les vastes colonies d’Afrique et d’Asie, le whisky apportait le soir, partout dans le monde, un peu du goût et de l’air du Vieux Pays.  Le whisky avait plusieurs avantages : il voyageait bien, était aisément transportable en caisses, relativement bon marché et surtout...il permettait de boire frais...

 

En l’absence de réfrigérateurs, l’unique moyen de rafraîchir économiquement une boisson était d’adjoindre de la glace dans le verre. Or l’eau servant à fabriquer cette glace était souvent de qualité douteuse. Un généreux trait de whisky titrant au moins 40 à 50 degré d’alcool permettait de                          « désinfecter » quelque peu le breuvage.

 

De populaire qu’il était à l’origine, le whisky commença petit à petit à gravir les échelons de la Société. Après le paysan et l’ouvrier, il conquit donc le militaire et le colonial, mais lorsque la reine VICTORIA elle-même se mit au whisky, qu’elle mêlait, dit-on, à son vin. La Cour puis la Gentry ne purent qu’adopter l’alcool écossais !...

 

 

 

 

 

Il faut dire qu’un autre élément allait favoriser le développement du Scotch. Vers 1860, les vignes françaises furent atteintes d’un mal mystérieux. Bientôt identifié, dès 1870, le phylloxéra ravagea le vignoble et priva l’aristocratie britannique d’une de ses boissons favorites : le cognac. Le whisky l’emporta alors progressivement au cœur même de l’Angleterre et remplaça le « brandy » et la fine à l’eau.

 

En 1877, se constituait le premier grand groupe de négociants et de distillateurs : la Distillers Company Limited (DCL) qui allait devenir la plus importante firme de spiritueux de Grande Bretagne et changer son appellation, dans les années 1980, pour celle d’United Distillers (UDG), après sa fusion avec le groupe Guiness.

 

Les maisons de négoce et les producteurs développèrent le concept des marques à partir des années 1880. On vit alors apparaître une profusion d’étiquettes aux noms parfois bizarres. En 1882, William SANDERSON proposa au cours de l’une de ses séances de dégustation, un blended résultant de son soixante neuvième assemblage. De ce jour date le célèbre VAT 69.

 

En dehors de l’Empire, de nombreux écossais et irlandais avaient émigré aux Etats-Unis. Ce fut une clientèle toute trouvée pour les « blenders » écossais. Le produit plut non seulement aux exilés, mais également aux Américains d’autres origines.

 

Cet engouement provoqua la création de nombreuses distilleries, particulièrement dans le Speyside qui, outre ses ressources en eau, avait l’avantage d’être relié au reste du pays par un nouveau chemin de fer, dans l’Ouest sur Islay, et dans la presqu’ile de Kintyre (Campbelltown), dont les distilleries situées en bord de mer se trouvaient idéalement placées pour profiter du transport maritime. En 1885, il y avait sur le Mull of Kintyre pas moins de sept distilleries : ARGYLL, CAMPBELLTOWN, HAZELBURN, SPRINGBANK, KINLOCH, LONGROW et RIECHLARAN.

 

Bientôt cependant, le marché mondial ne put plus absorber tout le whisky produit.  A partir de 1900, la crise économique puis la première guerre mondiale, amplifièrent encore les problèmes des distillateurs. C’est de cette période que date la commercialisation du Glen Grant, en tant que « Single Malt ».

 

En 1913, William Manera BERGUIS, un neveu d’Adam TEACHER, inventa le bouchon réutilisable en liège et en bois, tel qu’il est encore utilisé aujourd’hui pour les bouteilles de whisky de malt. Le Teacher’s fut vendu avec le slogan : « Enterrez votre tire-bouchons », l’Highland Cream devenant la bouteille qui s’ouvre toute seule.

 

Les difficultés que connaissaient les distillateurs furent encore aggravées par l’arrivée de Lloyd GEORGE comme Chancelier de l’Echiquier en 1908, puis comme Premier Ministre en 1916. Il était farouchement opposé à toute consommation d’alcool et projetait d’établir une prohibition totale en Angleterre au moins pendant toute la durée de la guerre. En février 1915, lors d’un discours à Bangor, en Irlande, il fulminait contre ce produit qui causait, selon lui, « plus de ravages dans l’armée britannique que tous les sous-marins allemands réunis... »

 

Deux problèmes majeurs l’empêchèrent de présenter cette loi :

 

·         D’une part, il fut obligé de financer d’abord son programme de sécurité sociale, puis le réarmement, par l’augmentation des impôts et notamment des droits d’accise. Ceux-ci passèrent de 6 pence et demi par bouteille en 1900 à 42 pence en 1920 !

 

 

 

·         D’autre part, un de ses collaborateurs au Ministère de l’Armement et des Munitions, lui fit remarquer que sans les distilleries, il n’y aurait plus de production d’alcool pour les explosifs et notamment les fulminates, et plus d’huiles de fusel pour enduire l’entoilage des avions !... Il est cependant à noter que ce conseiller technique n’était autre qu’un ancien directeur de chez Johnnie WALKER, qui deviendrait même par la suite le président du Conseil d’Administration du groupe ! ... L’argument fit réfléchir Lloyd GEORGE et il autorisa le maintien en activité des distilleries, même si de nombreux établissements durent se reconvertir pour produire de l’alcool industriel ou participer à l’effort de guerre : ainsi Dalmore fut transformée pour permettre la fabrication de mines pour la Marine.

 

L’activité de Lloyd GEORGE ne fut pourtant pas entièrement négative pour les amateurs de whisky puisque c’est sous son impulsion que fut promulguée l’Immature Spirits Act de 1915, établissant la fameuse règle des trois ans de vieillissement en fûts pour le scotch whisky. Les professionnels voyaient la qualité de leur produit augmenter, les hygiénistes se félicitaient de supprimer des alcools dangereux pour la santé publique, et Lloyd GEORGE qui ne pouvait faire passer son projet d’abolition totale des spiritueux pour des raisons électorales et financières, sauvait la face et préservait ainsi de justesse, malgré lui, la poule aux  œufs d’or !...

 

En 1917, afin de lutter plus efficacement contre les contrefaçons et les mélanges plus ou moins bizarres alliant substances aromatiques, alcools les plus divers et produits plus ou moins nocifs, les grands distillateurs poussèrent le Gouvernement Britannique à édicter une autre loi interdisant la commercialisation des whiskies de plus de 40°. Bars et particuliers durent alors acheter obligatoirement du whisky en bouteilles dûment contrôlé par les Excisemen.