CHAPITRE 8 - LA PROHIBITION ET LE RENOUVEAU

 

En janvier 1919, le dix-huitième amendement de la Constitution des Etats-Unis d’Amérique établissait ce que l’on appela la Prohibition. Toute boisson titrant plus de 0.5% d’alcool était interdite de vente et de fabrication sur l’ensemble du territoire de l’Union. Cette décision radicale était réclamée depuis le milieu du XIXème siècle par les ligues de tempérance, les associations féminines et les milieux évangéliques, très puissants aux U.S.A. Elle allait avoir comme conséquences curieuses d’une part le développement du grand banditisme en Amérique du Nord et d’autre part une relance de l’activité des distilleries écossaises ! ...

 

Les Etats-Unis étaient devenus le grand débouché extérieur pour la production du Scotch Whisky.          La Prohibition aggrava donc, dans un premier temps, les problèmes des distillateurs écossais. Mais ceux-ci se ressaisirent très vite et virent dans cette situation nouvelle une occasion inespérée de vendre leurs produits sur un marché avide d’alcool. Les producteurs américains étant éliminés, il suffisait de passer clandestinement du scotch aux U.S.A. pour faire de gros profits.

 

Les « blenders » créèrent donc des filiales au Canada et au Mexique qui firent immédiatement des affaires en or en revendant l’alcool à des contrebandiers opérant le long des vastes frontières de l’Union. Certains ne se donnèrent même pas cette peine : ils expédiaient le whisky directement aux Etats-Unis sous l’étiquette de médicaments !...

 

Les Irlandais reprochaient fort cette concurrence déloyale à leurs voisins écossais et ceci d’autant plus que le Gouvernement Britannique avait interdit aux distillateurs de l’Ile Verte toute exportation vers l’Amérique. De plus, l’irish whiskey, plus coûteux à distiller, ne répondait pas à un marché plus soucieux de quantité que de qualité.

 

De véritables fortunes s’édifièrent avec le trafic de l’alcool aux U.S.A.  On dit, avec raison semble-t-il, que celle des KENNEDY n’a pas d’autre source, Joseph KENNEDY, le père du Président, ayant largement profité de la situation.

 

Mais la Prohibition allait avoir des effets beaucoup plus pervers pour la société américaine que le simple enrichissement de quelques personnes se livrant à la contrebande. Le trafic fut bientôt confisqué par des bandes de gangsters bien organisées ne reculant devant rien. Une violence extrême se développa et les bandes de trafiquants ne se limitant pas au simple trafic de l’alcool, entreprirent de bâtir un vaste empire du crime dont les activités s’étendirent au racket, à la prostitution, au jeu, aux enlèvements de personnes, à la corruption politique et à tout ce qui était illégal. Bien entendu, les gangs ne se contentèrent pas d’importer frauduleusement des spiritueux, mais entreprirent d’en produire eux-mêmes. Il va sans dire que ces alcools étaient de qualité plus que médiocre, quand il n’était pas carrément très dangereux pour la santé ! On distillait n’importe quoi, n’importe comment. Afin de cacher le goût, parfois plus que douteux de ces produits, les barmen des « speakeasies », les bars clandestins, firent preuve d’esprit inventif, et lancèrent la mode des cocktails, mélanges d’un ou plusieurs alcools avec des jus de fruits, des vins ou des sodas. Le terme cocktail fait-il allusion aux couleurs des plumes de la queue du coq ou au breuvage que l’on donnait à ces animaux pour les exciter au combat ? La question reste posée. Ce qui est certain toutefois, c’est que le client qui en consommait un peu trop en voyait de toutes les couleurs, quand il n’était pas aussi « dopé » qu’un coq de combat.

 

On connaît les péripéties de la lutte épique qui opposa la police, dont les célèbres « Incorruptibles » d’Elliot NESS (avec un nom comme ça, il devait être écossais, ce qui est un comble !), aux gangs dont les plus célèbres étaient ceux de Lucky LUCIANO et d’Al CAPONE.

 

Les conséquences de la Prohibition se révélèrent bientôt tellement désastreuses pour le pays, qu’un des premiers gestes du nouveau Président des Etats-Unis, élu en 1933, Franklin D. ROOSEVELT, fut de promulguer le vingt et unième amendement qui mettait pratiquement fin aux interdictions édictées en 1919.

 

En Ecosse, afin sans doute de pouvoir déboucher encore plus vite les bouteilles commercialisées sous le manteau, White Horse Distillers utilisa pour la première fois, en 1926, des capsules métalliques pour boucher ses flacons. Cette idée fut reprise et développée par Whyte and MacKay. C’est également dans les années 20 que McDonald and Muir commença à embouteiller son célèbre single malt :                 le GLENMORANGIE.

 

Après la Seconde Guerre Mondiale, le whisky devint véritablement la boisson à la mode, aussi bien en Amérique qu’en Europe et même partout dans le monde. Partout où passèrent les troupes américaines et britanniques, les habitudes se modifièrent et le scotch s’imposa comme la boisson des vainqueurs !

 

En France même, le whisky commença à passer des salons parisiens aux boîtes de nuit de Saint Germain des Prés, du cercle très fermé de la haute bourgeoisie aux intellectuels, aux artistes et finalement aux snobs et à tous les noctambules.

 

Encouragés par le Gouvernement Britannique qui récoltait par ce moyen de précieuses devises, les ventes de blended scotch whisky augmentèrent de manière prodigieuse après la guerre. La Grande Bretagne, victorieuse, mais ruinée économiquement par le conflit, devait exporter à tout prix pour survivre. L’eau de vie écossaise allait véritablement jouer son rôle de stimulant pour un pays au bord de la catastrophe financière.