CHAPITRE 1 - LES ORIGINES :  AQUA VITAE et UISQUEBAUGH.

 

Les origines du whisky remontent vraisemblablement à l’époque du Haut Moyen-Age.

 

De nombreuses sources indiquent que ce serait Saint-Patrick qui a apporté l’art de distiller sur les côtes occidentales de l’Ecosse dès le Vème siècle de notre ère, et il semble bien que cela soit fondé. Patrick ou Padraig est né vers 390 au Pays de Galles, dans le Glamorganshire. A l’âge de 16 ans, il aurait été enlevé par des pirates pictes et scots et conduit dans le nord de l’Irlande. Libéré ou évadé au bout de six ans, il passe sur le continent, puis revient en Grande Bretagne. Il décide alors d’évangéliser l’Irlande qu’il connaît bien et, pour se préparer à cette tâche, se rend en Gaule.

 

Il est nommé diacre à Auxerre, en Bourgogne, et Saint-Germain le consacre évêque pour sa mission en Irlande en 432.  C’est en Bourgogne qu’il aurait découvert cet art de la distillation qu’il aurait ensuite apporté dans la verte Erin. Il s’établit tout d’abord dans l’est de l’île (Leinster), puis sillonne tout le Nord-Ouest du pays.

 

Ayant visité une grande partie des communautés religieuses d’Irlande, Patrick se rend à Rome de 441 à 443, sans doute pour rapporter ce qu’il y avait vu et établir une politique pour rallier au catholicisme ces moines celtiques. A son retour, il fonde l’évêché d’Armagh, tout au nord de l’île et édicte de nombreux textes qui incitèrent les communautés religieuses à s’intégrer dans l’Eglise romaine.

 

La Science Officielle veut que le procédé de la distillation ait été inventé en Chine quelques siècles auparavant, et qu’il se soit transmis via les Perses, aux Arabes qui utilisaient l’alcool notamment pour fixer les arômes dans les parfums. Le mot alcool dérive d’ailleurs de l’arabe Al kuhl, qui désignait l’oxyde d’antimoine utilisé dès l’Antiquité par les Egyptiens qui s’en servaient comme fard pour les yeux (le fameux kohl).

 

Les arabes apportèrent cette technique en Espagne et ce savoir-faire semble avoir été recueilli notamment par les moines chrétiens qui le répandirent dans les Gaules puis dans toute l’Europe à une période non déterminée exactement (IVème siècle ?). On distilla d’abord du vin, et l’alcool obtenu fut appelé Eau de Vie (Aqua Vitae) en raison de ses vertus thérapeutiques. Il est toutefois impossible de dire si l’on distilla d’autres produits que le vin à cette époque, car les procédés de fabrication de l’Aqua Vitae restaient un secret bien gardé des moines, des magiciens et des alchimistes ...

 

Cependant, une autre hypothèse peut être avancée.

 

On sait aujourd’hui que l’Irlande était, à la fin de l’Antiquité et au tout début de notre ère, le refuge d’une civilisation très ancienne : celle des Celtes. L’origine de ces peuples est assez mystérieuse, mais leur culture et leur religion présentent des similitudes frappantes avec celles des tribus des alentours de la Caspienne et du Caucase. Une partie de ces peuplades, dites Touraniennes, aurait ensuite émigré vers l’Ouest au IIème millénaire avant notre ère. Certaines, en passant par le Sud, s’établirent en Thrace (entre le Danube, la Mer Noire et la Mer Egée). Les Grecs, qui s’efforcèrent de coloniser ce territoire, distinguaient d’ailleurs deux types distincts dans leur population : les Thraces à proprement parler, bruns et dolichocéphales, et les Thraces « rouges » (roux) qui sont considérés comme des Celtes. Ces Thraces Rouges, ou d’autres tribus qui auraient progressé plus au Nord par les Pays Scandinaves, parvinrent finalement jusqu’aux bords de l’Océan et se fixèrent enfin en Galice, en Gaule et dans les Iles Britanniques. C’est ce groupe qui nous intéresse ici.

 

La société celte était essentiellement élitiste. Une aristocratie, militaire avec ses chefs de clan et ses rois, religieuse et intellectuelle avec ses druides, tenait le reste de la population dans une condition proche du servage.

 

Les druides possédaient des connaissances très évoluées. Esprits curieux, ils étudiaient la médecine, la physiologie, la philosophie et la magie, c’est à dire ce que l’on appellerait aujourd’hui la chimie. On sait qu’ils étaient notamment d’excellents métallurgistes et l’on s’interroge encore maintenant sur les procédés qui leur permettaient d’obtenir de l’acier de grande qualité. Mais ils étaient surtout renommés pour l’utilisation qu’ils faisaient Simples, ces herbes médicinales et magiques, bases d’une chimie aussi mystérieuse qu’élaborée.

 

Leur enseignement était exclusivement oral et réservé aux seuls initiés afin que leur science ne tombe pas dans des mains « indignes ». Il exigeait des qualités de mémoire exceptionnelles. Le « Senchus – Mor », code celtique révisé et mis par écrit par Saint-Patrick vers 450, nous renseigne sur ce point :   Un filé, barde druidique de haut grade, devait connaître par cœur 350 histoires dont 250 poèmes épiques en vers ! ...

 

Il se peut donc que ces druides aient connu avant, ou en même temps que les arabes, le procédé de la distillation. Des liens existaient-ils entre l’Asie Centrale et le Ponant, ou encore les savants celtes avaient-ils eux-mêmes redécouvert cette technique ? Il est impossible de répondre à cette question en l’absence de documents écrits. Il est toutefois troublant de constater que la légende fait de          Saint-Patrick l’initiateur de la distillation en Irlande, lui qui passa une bonne partie de son temps à faire mettre par écrit les lois, préceptes et légendes celtiques transmises jusque-là par les seuls druides !...

 

Ce qui est certain toutefois, c’est que ces druides avaient un niveau de connaissances suffisant pour mettre en œuvre une technique comme celle de la distillation. Par ailleurs, il faut remarquer que la fabrication d’une eau de vie à partir de céréales est, en Occident, un procédé typiquement nordique, les méridionaux disposant de produits à distiller bien plus riches en sucres (vins, fruits, miel...).

 

En Europe, seules les civilisations celtes produisaient de la cervoise qui, si l’on se rapporte au dictionnaire, est une bière faite à base d’orge. Le mot lui-même, du latin cervesa, est d’origine gauloise. « On la trouve sous d’autres formes (la cervoise) en Asie, en Egypte et en...Thrace... Elle était en honneur chez les Celtes ... Grecs et Romains l’appréciaient peu ; leurs médecins en condamnaient l’usage... ».

 

De récentes fouilles ont en outre mis à jour ce qui a été nommé un véritable Pompéi vieux de 4500 ans, sur le site de Skara Brae dans les îles Orcades.  Les constructions ont été parfaitement protégées par les sables, probablement déplacés à la suite d’une violente tempête ou d’un autre phénomène géologique. Les études sur les objets et les matériaux récupérés sont loin d’être terminées, cependant il apparaîtrait que les habitants préhistoriques de ce village aient pu fabriquer de la bière de malt dans de très grandes cuves de près de 30 gallons !... Cette découverte remet évidemment beaucoup de choses en question quant aux origines du whisky et de la cervoise et pourrait conforter notre hypothèse d’une invention très ancienne, beaucoup plus ancienne que l’histoire officielle ne l’établit, de la bière et de l’alcool de malt en Europe septentrionale.

 

Le whisky est, à l’origine, distillé à partir du wash qui est une bière de malt pur. En effet, seul l’orge germée, ou malt, peut transformer aisément l’amidon contenu dans les céréales en des sucres fermentescibles (maltose). Il apparaît donc clairement que le whisky est un alcool de fabrication typiquement celte, même s’il est impossible de dater avec précision son invention. Celle-ci fut-elle antérieure à la venue de Saint-Patrick en Irlande ?

 

La question reste posée. Il est plus que probable, en revanche, que ce sont bien les moines gaéliques, successeurs des druides et dépositaires de leurs secrets qui sont, historiquement, les inventeurs du whisky.

 

Si les druides possédaient un savoir et un savoir-faire étendus, ils avaient également un idéal mystique très élevé. Ils croyaient en l’immortalité de l’âme et vivaient en communautés consacrées au travail intellectuel, artistique et scientifique. Dans sa « Religion des Gaulois », Alexandre Bertrand démontre comment ces communautés druidiques durent se convertir tout naturellement au christianisme et fonder, sous l’impulsion et l’autorité de Saint Patrick, les premiers monastères chrétiens.

 

Vers 500, très peu de temps après la mort de Saint-Patrick (en 461), Saint-Findia fonde les abbayes d’Armagh et de Bangor en Irlande. En 597, un moine du nom de Colomba reçoit des mains du roi Scot Bridius l’île d’Iona dans les Hébrides écossaises pour y fonder un monastère.

 

Très vite, Saint-Colomban entreprit d’évangéliser l’Ecosse en établissant des communautés religieuses dans les îles Hébrides et la presqu’île de Kintyre, puis dans les Highlands et les Lowlands, en profitant de la création du premier royaume d’Ecosse, fusion du pouvoir des Scots venus d’Ulster avec les Pictes du Nord des Highlands et les Brittones installés dans le sud-ouest du pays (843). De l’île de Iona partirent des petits groupes de religieux qui fondèrent des monastères sur le modèle des communautés druidiques, non seulement en Grande Bretagne, mais également en France (plus particulièrement en Bourgogne), puis dans l’Europe entière.

 

L’Aquae Vitae dut suivre l’établissement des monastères en Ecosse, mais l’alcool de malt obtenu par nos bons moines n’avait pas grand-chose à voir avec le scotch tel que nous le connaissons aujourd’hui. Il était utilisé à l’origine pour faire macérer les Simples, ces fameuses herbes médicinales bien connues des druides. Il devait donc servir à traiter et désinfecter les plaies et, comme breuvage, à soigner quantité de maladies, aussi bien pour les hommes que pour les animaux. Les moines l’appelaient donc aqua vitae, eau de vie en latin, mais plus couramment les gens du pays lui donnèrent le nom celte de  uisque beata  (prononcez ouiske bâa), puis de uisquebaugh qui, en gaélique, veut dire exactement la même chose que le nom romain.

 

Des monastères, le procédé de distillation de la cervoise dut ensuite gagner les campagnes voisines, et des paysans commencèrent à fabriquer eux aussi, de l’eau de vie.

 

A part cette élite intellectuelle que formaient les druides, puis après eux les moines celtiques, les populations d’Irlande et d’Ecosse étaient très frustres. Il n’est donc pas surprenant, qu’en dehors des communautés religieuses, aucun écrit ne fasse mention d’aqua vitae en Ecosse avant 1494. Cette année-là, le rôle des Finances de l’Ecosse mentionne l’inscription suivante : « Huit bolls (environ 200 kg) de malt pour le Frère John Cor afin de lui permettre de faire de l’aquavitae ».  Cela ne veut pourtant pas dire que l’on ne distillait pas dans le pays avant cette date. Les premières distilleries écossaises connues semblent avoir été celles situées dans la presqu’île de Kintyre, près de ce qui deviendra plus tard la petite ville de Campbelltown.

 

Il est également très difficile de dater l’époque à laquelle on a commencé à faire vieillir l’uisque beata en fûts de chêne. On sait que ce sont les Gaulois qui ont inventé le tonneau et que de très nombreux druides ont fui la Gaule à la suite de l’invasion et des persécutions romaines, pour se réfugier précisément en Irlande. Il n’est donc pas impossible que l’on ait fait maturer du whisky à une époque très reculée. On pense cependant plus couramment que ce procédé n’aurait été appliqué que vers le XIVème ou le XVème siècle, voire même plus tard, quand on a pu réutiliser en abondance des futailles de vin de Bordeaux qui était consommé par les seigneurs écossais.