Article sur le whisky, écrit en 2015, sous le pseudonyme de Pierre Deruby (alias Patrick Dambre) pour un site d'édition sur internet

 

 

Le whisky, un peu, passionnément

Récemment, un ami m’a offert un très bel ouvrage intitulé « les 1001 whiskies qu’il faut avoir goûté dans sa vie ». Sachant qu’à l’aube de ma septième décade, j’ai à peine réalisé 10% du challenge, vivrais-je assez pour m’acquitter de la mission ? L’espoir est mince, mais je vais quand même tenter, pour ne pas mourir idiot. Encore que ce soit peut-être un leurre, puisque selon Pierre Desproges, « le whisky est le cognac du con ». Une vanne savamment distillée, comme toujours avec lui. A ne prendre qu’au 40ème degré.

 

Eddy Mitchell, lorsqu’il se fait curé, n’hésite pas à s’en taper « une dose afin de préparer son sermon ». Au nom du verre, du vice et du saint-whisky. James Bond, soi même, qui n’a pas comme l’humoriste précité à s’affranchir de douteuses initiales, sait l’absorber en un geste viril (dans ses débuts, aujourd’hui c’est vodka). Quant au capitaine Haddock, il ne jure (c’est peu dire) que par le Loch Lomond, qui n’existait pas avant lui, mais qui, depuis, suinte de quelques alambics dans les Highlands. Je pourrai allonger cette liste de références, mais le propos n’y gagnerait rien.

 

Vous l’avez compris, ces quelques lignes préliminaires n’ont qu’un but. Partagez avec vous, lecteurs épicuriens, les plaisirs que nous offre ce merveilleux breuvage, dans sa grande diversité. Point n’est besoin pour cela d’être un Expert avec un grand E. Des experts, il y en a. Des vrais, en faible nombre. Des autoproclamés, en multitude. Laissez-les gonfler leur jabot.

 

Ils vous diront que le whisky se dénature dans l’eau. Foutaise. Il en est largement composé, et son mérite n’est pas mince de la rendre potable. Mettre de l’eau dans son whisky, c’est même un nouvel art de le consommer. Une tendance née au Japon qui - soit dit en passant - détrône depuis quelques années les porteurs de kilt dans les classements des meilleurs whiskies. En 2008, autrement dit hier, une paire de nippons a inventé un nouveau concept : le highball, un peu de whisky dans une grosse chope additionné d’eau gazeuse très pure, et de beaucoup de glaçons. Depuis, leurs compatriotes en raffolent. Au point qu’ils s’en font servir dans les restaurants avant, pendant et après le repas. Patience, Français de province. Les bridés de Paris ont lancé le mouvement chez nous. Ou alors, tentez le coup vous-mêmes !

 

Ils vous diront aussi que son mariage avec le Coca ou le Schweppes, c’est celui de la Belle et la Bête. Sornette. Amateurs de longs drinks, savourez vos mélanges préférés sans complexes. Les caribéens  vénèrent le rhum. Et pourtant, ils n’hésitent pas à lui proposer la même union en Cuba libre. Serait-ce le secret de leur légendaire joie de vivre ?

 

Ils vous diront encore que les Single Malt sont les seuls whiskies dignes de ce nom. Baliverne. Certes, réalisés à partir d’orge malté provenant d’une seule distillerie, ce sont généralement des produits de qualité. Mais certains blends, assemblages de plusieurs singles malts et de whiskies de grains d’autres céréales (maïs, blé, seigle,...), peuvent leur être comparés avantageusement. Perso, je trouve qu’un Mitchell’s 12 ans, par exemple, surpasse largement un Aberlour de même âge. C’est pourtant le Single Malt préféré des français.

 

Malgré tout, je l’avoue. Moi aussi, je me délecte plus volontiers de singles malts. Surtout ceux qui titrent au moins 43°, dont j’apprécie la robustesse. Mais j’ai plaisir à servir à ceux et celles qui les aiment - et à les partager avec eux - des produits plus doux, comme la plupart des whiskeys irlandais, distillés trois fois, au lieu de deux en Ecosse. Le Connemara 40° (encore un single malt, irish celui-là), pour ne citer que lui, égaye de temps à autre mes papilles de ses notes épicées et tourbées.

 

Avec le whisky, comme avec le vin, le plaisir est dans tous les sens. C’est un ravissement pour nos yeux d’admirer sa jolie robe dans un élégant flacon sachant la mettre en valeur. La gamme des coloris se décline sur une large palette, qui va du jaune pâle à l’ambré le plus soutenu, comme celui de nos vieux calvados. Les jours de soleil, posez bien votre verre dans son axe. Si par bonheur, un rayon  vient à le traverser, ce sera presque à contrecœur que vous vous résoudrez à le vider.

 

Son vieillissement dans des fûts ayant abrité avant lui d’autres alcools (sherry, xérès, porto, ...) ou dans des fûts neufs, agit sur son goût en s’adaptant aux nôtres. Chacun - hors allergie, répugnance, ou contre-indication médicale - trouvera son contentement dans la gamme des saveurs. Laquelle dépend aussi de l’origine de l’eau utilisée (nous y revoici !), de sa nature, du procédé de séchage de l’orge malté ... Et de bien d’autres paramètres. Avant de le porter en bouche, vous l’aurez humé, ce divin nectar, et vos narines auront frémi au raffinement de ses effluves. Il n’y a guère que le toucher pour échapper à notre euphorie. Quoi qu’avec de l’imagination ...

 

M’affichant libre d'esprit, vous comprendrez que je ne supporte pas les dictateurs du goût et, plus largement, du savoir-vivre. Cependant, je me permets – par exception - de recommander à ceux qui veulent l’entendre, de bien choisir le contenant de ce subtil contenu. Pour ne pas le réduire à moins qu’il n’est. La chope, c’est dit, convient bien aux highballs japonais. Le verre cylindrique, grand maigrichon ou petit trapus, est à réserver aux longs drinks. Pour vos singles malts ou blends de bonne tenue, préférez le verre tulipe (glencairn glass). Il est d’un bien meilleur accueil pour révéler les arômes. Surtout, évitez les verres de couleur. Le whisky aime la transparence. Ceci dit, si vous avez l’habitude de boire le Romanée Conti dans un gobelet en plastique fluo ...

 

Récidiviste (contrarié) de l’exception pour ce dérisoire papier, je me dois au nom du sacro-saint principe de précaution de vous inciter à la modération. Car, c’est vrai, je vous ai engagés sur une voie qui n’est pas sans danger. Les bonnes choses, il ne faut pas en abuser. L’absorption répétitive doit s’arrêter au premier stade de la bienfaitrice désinhibition. C’est ce que nous nous disons chaque fois avec la compagne de mes jours, lorsque nous entrons en dégustation, pour ne pas céder aux excès de nos pulsions gourmandes. Sagement, il nous revient à l’esprit ce que nous enseignait Frédéric Dard, alias San Antonio : « Tout n’est pas cirrhose dans la vie ».

 

 

Pierre DERUBY           

 

27/04/2015