CHAPITRE 10 - LES ANNEES 80 :  LA RECESSION

 

Il est curieux de constater d’après ce bref historique que l’industrie du whisky a toujours été soumise à des alternances de fort développement et de récessions sévères. Aucune autre activité, peut-être, n’a connu de fluctuations d’une telle amplitude à des intervalles de temps si rapprochés et avec une fréquence si régulière.

 

Après les « Golden Sixties » et la période de consolidation des années 1970 vint la crise que nous connaissons encore aujourd’hui. Les ventes de scotch baissèrent dès 1979 pour atteindre leur niveau le plus bas en 1985 avec moins de 226 millions de litres d’alcool pur exportés, soit une baisse de près de 18 % en 7 ans !... La diminution du pouvoir d’achat, l’augmentation des droits d’accise (+21% pour les seules taxes levées sur la consommation nationale en 1978 !), la lutte contre l’alcoolisme et le rajeunissement très rapide de la population donnèrent un coup de frein au développement des ventes de scotch.

 

L’industrie du whisky, qui s’était regroupée au sein d’entités financières très importantes dans les années soixante-dix, connut une surproduction chronique dès 1980.

 

Si les stocks ne progressèrent pratiquement pas durant cette période (ils se maintinrent vers 3 milliards de litres d’alcool pur), de nombreuses distilleries durent fermer leurs portes ou furent même démolies.  DALLAS DHU ferma ses portes en 1980, ARDBEG, BEN NEVIS, BANFF, SAINT MAGDALENE en 1983, COLEBURN, CONVALMORE, DEANSTON, IMPERIAL, MILLBURN en 1985 et la liste est loin d’être exhaustive ! ... Des 117 distilleries de malt en activité au début des années soixante-dix, on passa à 89 en 1990 pour arriver à environ 80 en 1995.

 

Il convient également de souligner que la vogue extraordinaire du whisky dans les années 1950 à 1970, amena des commerçants peu scrupuleux à introduire, sur le marché européen notamment et français en particulier, des produits qui n’avaient souvent que des rapports lointains avec le véritable Scotch. Ces « whiskies » élaborés aux Pays Bas, en Belgique, en France ou en Allemagne Fédérale renfermaient la plupart du temps moins de 10% de véritable whisky écossais, le reste du mélange étant constitué le plus souvent d’alcool neutre de qualité parfois douteuse de surcroît !... Ces recettes du style « pâté d’alouette » (une alouette, un cheval) n’étaient même pas sanctionnés par la loi, la réglementation française ne protégeant alors pas la qualité du whisky et autorisant de telles pratiques frauduleuses. Ces « contrefaçons légales » ne réhaussèrent évidemment pas l’image du whisky écossais en France et les ventes de Scotch s’en ressentirent. La fraude était d’autant plus perverse que les fabricants indélicats pouvaient en toute impunité inscrire sur leurs étiquettes « Whisky distillé en Ecosse » au lieu de la formule consacrée par la loi britannique « Whisky mis en bouteilles en Ecosse » représentant le seul vrai « scotch ».

 

Le seul point positif de cette crise sérieuse fut la mise sur le marché international, et particulièrement français, dans les années 1980 de « single malt » qui n’étaient appréciés que d’un très petit nombre d’amateurs en Grande Bretagne. Seuls étaient alors diffusés en Europe, et encore d’une façon presque confidentielle, les GLENLIVET, GLEN GRANT, GLENMORANGIE et GLENFIDDICH. L’Italie et la France notamment découvrirent alors ce produit jusque-là très peu diffusé.

 

En 1977, on estimait que la part de marché des « blended » représentait plus de 98% des ventes contre environ 1.6% pour les « Pur Malt ». Cependant, à partir de cette date, sauf entre 1979 et 1982 où se produisit un léger fléchissement dans la commercialisation de ces produits, les ventes de whisky pur malt en bouteilles progressèrent d’environ 20% par an. En 1977, ce produit particulier représentait 3 millions de litres d’alcool pur.

 

Vingt ans plus tard, en 1997, le pur malt vendu conditionné en bouteilles, c’est à dire en l’état au consommateur final, atteignait le volume de 13 millions de litres d’alcool pur, soit une progression de 330% en 20 ans. Cependant la part de pur malt dans les ventes globales de whisky ne représentait encore guère que 5% à l’aube du XXIème siècle.

 

Il faut également signaler que les exportations de whisky de malt en vrac (et donc très majoritairement destinées au blending), ont chuté dans le même temps de façon spectaculaire. Elles ont diminué de la moitié entre 1977 et 1997, le Japon ayant réduit ses importations de ce produit de 15 à 5 millions de litres d’alcool pur par an !... La commercialisation du pur malt en bouteilles a donc été une véritable bouée de sauvetage pour les distilleries et a permis de compenser en vingt ans la perte subie par le marché japonais, mais avec une bien meilleure marge bénéficiaire !...

 

De 1978 à 1992, les ventes de blended scotch whisky sont passées de 300 millions de litres d’alcool pur à environ 240 millions de litres soit une baisse de près de 20% en volume !

 

Industrie dynamique mais fragile, les distilleries écossaises ont toujours été un facteur d’enrichissement pour les Highlands pauvres et peu peuplées. La crise du whisky a eu de graves répercussions sur l’emploi dans ces régions. Avec la fermeture de nombreuses distilleries de malt, c’est un peu de la vie et de l’âme de l’Ecosse qui a disparu...